Les collectifs féministes exigent la lancée de l’Alerte de Violence de Genre à Mexico

Mexico, 26 février 2018

« L’Alerte, maintenant ! » ont scandé aujourd’hui des dizaines de femmes face au Palais du Gouvernement de la ville de Mexico, vêtues de violet, brandissant des croix roses et arborant les photos des victimes de féminicides, pour que le chef du gouvernement Miguel Ángel Mancera écoute enfin leurs cris de douleur et de rage. La violence contre les femmes et les femmes transexuelles augmente drastiquement dans le pays, où sept femmes sont assassinées par jour. Sous les bureaux du Palais du Gouvernement, les femmes ont pris la parole une à une pour partager leur indignation face à la domination patriarcale qui se manifeste quotidiennement par des humiliations, des agressions, du harcèlement et des meurtres.

Les femmes ont réclamé l’instauration de l’Alerte de Violence de Genre à Mexico, alerte mise en place dans les zones où la violence contre les femmes atteint un stade critique, impliquant une vigilance accrue des autorités et ayant pour objectif d’éradiquer la violence féminicide et de permettre aux femmes un plein exercice de leurs droits.

Mary Sainz, activiste de Tamaulipas et une de ses camarades se sont présentées, corps dénudé, couvertes de sang, afin de visibiliser et d’alerter la population sur la réalité féminicide. Elles se sont allongées sur le sol quelques minutes, l’une sur l’autre, le visage fermé et les yeux emplis de douleur durant leur captivante performance artistique.

A la fin de la rencontre, les femmes ont laissé sur le Zócalo, place principale de Mexico, les croix et les photos de leurs filles qui ont perdu la vie, accompagnées de bougies pour qu’elles restent sous les yeux du gouvernement qui n’œuvre en rien pour changer la situation alarmante du pays.

Araceli Osorio, mère de Lesvy Berlín, victime de féminicide le 3 mai 2017 dans la Cité Universitaire de l’Université Autonome Nationale du Mexique (UNAM), crime commis par José Luis Hernández González, a pris la parole et déclaré dans le silence d’une foule indignée :

« Si je suis ici aujourd’hui, si j’étais hier à l’Hémicycle Juarez, accompagnant les mères de Nadia et Alejandra elles aussi assassinées, c’est pour montrer que nous sommes excédé.e.s de vivre cette violence tous les jours. Cette violence me fait souffrir non seulement pour ma fille, mais aussi pour toutes celles qui habitent cette ville, ce pays et cette planète.

J’ai eu l’opportunité de discuter avec une fille du Lycée de Sciences et d’Humanité du campus Vallejo qui a été violée dans son école. Dans la Cité Universitaire où José Luis Hernández González a assassiné ma fille Lesvy comme dans les groupes scolaires, peu de personnes dénoncent. Et quand elles le font, elles ne reçoivent pas l’attention adéquate car nous ne sommes pas habitués à écouter, c’est de l’autre côté du mur, c’est privé et ça doit le rester. Les autorités du Lycée Vallejo ont mal agi et de par leur incapacité, la corruption et la dissimulation, elles ont retardé la mise en place d’une aide psychologique pour cette jeune fille. Ils l’ont ensuite criminalisée comme ils le font avec beaucoup de femmes qui peuvent se défendre, mais aussi avec celles qui sont aujourd’hui mortes et ne le peuvent plus. Ces femmes qui ont été victimes de féminicides ont pour seule défense leurs corps mutilés.

On nous demande pourquoi nous ne nous prononçons pas également contre la violence dont souffrent les hommes. Nous l’avons déjà dit, des relations aussi violentes ne devraient pas exister, mais ce n’est pas comparable. On nous tue pour le fait d’être des femmes, on nous mutile de manière si cruelle, on viole notre droit à sortir, à marcher librement dans la rue, dans nos maisons, dans nos quartiers, dans nos universités, d’aller aux toilettes publiques ou à la banque.

On ne peut pas dire que dans cette ville la justice soit garantie et que nous ne nécessitons pas l’Alerte de Violence de Genre. Nous ne devrions pas en avoir besoin, et même si nous savons que cette Alerte de Violence de Genre ne va pas résoudre le problème, tout comme les sifflets ne l’ont pas résolu*, nous n’allons pas laisser notre sort uniquement à l’éducation et attendre le futur.

Et si pour cela il faut que nous sortions jour après jour, nous allons le faire. […]

Hier, à l’Hémicycle Juarez, j’ai demandé à une policière ce qu’elle pensait de la manifestation que nous faisions et elle a répliqué que c’était triste car nous montrions une mauvaise image du Mexique aux étrangers qui étaient là. Au lieu de leur montrer un lieu propre où ils pouvaient se rendre tranquillement, nous leur montrions cela. J’ai rétorqué que nous le faisions car c’était la réalité et que nous ne pouvions pas la dissimuler, car nous souffrons pour nos filles et pour les femmes. Nous ne pouvons pas rester silencieuses, même si cela donne une mauvaise image et nous allons porter les photos de nos filles et leur voix.

Un homme secouait la tête de gauche à droite et m’a dit qu’il aspirait à un poste politique et que les choses se résolvaient en faisant des propositions et en les présentant au Congrès, par une voie légale et pacifique. Je lui ai répondu que dix mois après que José Luis Hernández González ait assassiné ma fille Lesvy, ces autorités et ces lois n’ont servi qu’à justifier l’acte de cet assassin et de beaucoup d’autres. Ces assassins ont appris à recréer des scénarios de suicide pour ne pas être inculpés. […]

Des hommes et des femmes nous disent que nous exagérons, que l’Alerte de Violence de Genre n’est pas justifiée. De quoi ont-ils besoin pour qu’elle se justifie ? Que montent les statistiques, ce en quoi se sont converties les vies de nos filles ?

Une résolution affirme que l’Alerte de Violence de Genre est justifiée. Cela prendrait six mois pour mettre en place une série d’actions afin de faire diminuer ce niveau de violence. Mais les membres du gouvernement savent qu’en six mois ils ne feront rien, car ils n’en ont la volonté ni publique ni personnelle, nous ne les intéressons pas, nous les femmes, sommes des citoyennes de second rang.

De quoi ont-ils besoin pour changer les choses dans ce pays, pour que nous les femmes, nous puissions sortir, marcher, étudier, travailler librement ? […]

Je veux dire aux autorités que nous n’allons pas nous arrêter, ils peuvent changer de poste, même de pays, ils ne garderont pas la tête haute. Pourquoi est-ce si difficile pour eux de faire les choses bien, si cela a les mêmes coûts économique et humain que de les faire mal ? Pourquoi préfèrent-ils aider les assassins et les violeurs pour qu’ils sortent immédiatement de prison et que le message reste : « tu peux violer, assassiner, humilier, ici rien ne va se passer » ?

Dans le cas de José Luis Gonzalez Hernandez, dès le début, non pas un mais trois avocats commis d’office lui ont été assignés.

Nous sommes une société violée dans son droit à la vérité et à la justice. Mais nous sommes aussi une société qui réagit, nous devenons sensibles et nous avons peur, mais nous sortons et disons : Les coûts politiques vont être nombreux Monsieur Mancera. Nous vous demandons d’écouter la vérité et d’implanter la justice dans votre administration. Vous vous êtes trompé Monsieur Mancera, et vous prétendez vous tromper encore.

L’Alerte de Violence de Genre est importante, et bien qu’elle ne résolve pas, il est indispensable de ne plus parler de nombres mais de noms. Car chacun de ces chiffres est accompagné du nom d’une femme, d’une histoire de vie, d’une femme qui voulait vivre, qui n’a pas choisi la mort. Ces femmes voulaient vivre leur vie, leurs projets, leurs amours, leurs passions. Pour cela les assassins doivent payer car celles qui ont survécu à des féminicides ont le droit d’être en paix.

Et tant qu’il y aura un assassin, un machiste patriarcal dans les rues, nous aurons peur mais nous continuerons à sortir.

Je voudrais dire aux hommes que nous ne les voulons pas derrière nous, ni devant nous, mais nous les voulons à nos côtés avec cette tendresse qui les caractérise et qui est si difficile pour certains de nous montrer. […] Ce jour-là nous allons changer les choses et ce jour est venu car je les vois ici. Je vois aussi une chevelure semblable à celle de ma fille, des yeux semblables à ceux de ma fille, une silhouette semblable à celle de ma fille. Cela me cause une immense douleur mais me donne également la volonté de continuer à me battre pour que José Luis Hernández González et tous ces assassins soient envoyés en prison où est leur place, et ne fassent plus de mal à personne.

Pas une de plus, ni une de moins !

A celles qu’on nous a pris vivantes, nous les voulons en vie !

*La ville de Mexico a récemment lancé une campagne de distribution de sifflets pour lutter contre la violence envers les femmes et les agressions sexuelles.

Nacional

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